Le moulage du corps - moulages sur le vif
On attribue à LYSISTRATE DE SICYONE l'invention du moulage direct sur modèle vivant en l'an 324 avant Jésus-Christ mais il est pratiquement impossible de le dater avec certitude. L'homme a toujours été fasciné par la reproduction du corps, allant même jusqu'à bâtir une église à l'emplacement ou le Christ apparu à sainte Radegonde à Poitiers laissa l'empreinte de son pied imprimée dans la pierre voir des videos sur le moulage du corps

Qui d'entre nous ne s'est pas retourné sur ses empreintes laissées dans le sable, la terre ou la neige.
Comment ne pas imaginer que si les égyptiens recouvraient leurs morts avec du plâtre, les sculpteurs antiques ne se soient pas largement servis du moulage sur modèle vivant comme l'ont fait les sculpteurs du 19 ème et jusqu'à notre époque.
Le mythe du double, la cybernétique, l'éternel conflit entre les partisans du moulage sur nature et ses détracteurs , les uns y voyant un moyen d'expression, les empreintes étant chargées d'un capital émotionnel et symbolique, les autres n'y voyant qu'un procédé mécanique et facile sans vie ni contenu artistique , sont autant de raisons qui ont permis au moulage sur nature d'être médiatisé et pratiqué largement par de nombreux professionnels et d'amateurs mais sans être reconnu comme discipline.
D'autre part, la relative vulgarisation des techniques générales de moulage due à l'apparition des nouveaux matériaux de synthèse pourrait laisser penser que le moulage sur modèle vivant est une chose facile, il n'en est rien et beaucoup ont essayé en faisant courir de grands risques à leurs modèles tout en produisant un travail de mauvaise qualité.
Que cela soit dans un but artistique, pour concevoir une sculpture figurative ou hyperréaliste, ou une composition à l'aide de fragments, que cela soit dans le but de garder un souvenir de son visage, de sa main, de celle du bébé, ou du buste de la maman, que cela soit dans le cadre d'un enseignement ou d'une animation, de récréations ou d'exercices, dans le domaine médical ou esthétique, le moulage sur modèle vivant est une opération délicate et non dénuée de risques.
C'est dans tous les cas une expérience enrichissante pour le modèle et le mouleur. Le moulage sur modèle vivant constitue un véritable moyen d'expression et il n'est pas faux de dire qu'il est à la sculpture ce que la photographie est à la peinture.

LES MOTIVATIONS
Il serait vain d'essayer de dresser une liste exhaustive de toutes les applications du moulage du corps, laissons de coté volontairement tout ce qui touche au moulages sur des cadavres , (masques mortuaires) et à toutes les représentations du corps morcelé , objets usuels et décoratifs, ex voto etc.
Retenons simplement les applications qui ont recours au moulage sur modèle vivant dans les domaines suivants:
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Jean pierre Maury

Bernard Ducca dans son atelier
1/ Le domaine artistique
Dans les ateliers de dessin et de sculpture et dans un objectif purement pratique afin de se passer de modèle en se constituant un fond d'atelier composé de bras, de jambes , de pieds et de mains, de torses et de buste. Le moulage est alors considéré comme outil de travail dont on s'inspire pour l'exercice ou l'enseignement mais qui n'entre pas directement dans la composition de l'oeuvre. Pour l'élaboration de sculptures proprement dites, le moulage sur le vif sera très utilisé au 19 ème siècle et beaucoup critiqué, ainsi, le sculpteur italien Véla , selon David d'Angers ''moule énormément". Il mélangeait avec ses sculptures, des mains, des jambes , dos, etc, leur donnant un caractère qualifié de ''vériste'' en Italie. Le moulage, permet aux sculpteurs de se constituer des réserves et de les exploiter sous de multiples combinaisons : assembler moulages sur nature et moulages d'antiques avec des oeuvres modelées, réunir des morceaux de sculptures différentes pour en faire une nouvelle et ainsi réutiliser indéfiniment une même partie de sculpture. Rodin sera le premier à exploiter ce processus de façon systématique. Il fut d'ailleurs accusé lors de la présentation de ''l'âge d'airain'' en 1877 d'avoir eu recours au moulage.
Après ce scandale ou le moulage du modèle fut finalement exécuté pour prouver sa non utilisation, on lui reprochait une trop grande exactitude des formes, Rodin fit savoir en maintes occasions qu'il condamnait cette pratique.
Il ajoutait: : ''un moulage sur nature est la copie la plus exacte que l'on puisse obtenir, mais sans vie , cela n'a ni mouvement ni éloquence, ce qu'il faut c'est exagérer!'' A notre époque, surtout grâce à l'utilisation des matériaux plastiques modernes, les empreintes sont rapides et fidèles, tout ce qui ne bouge pas pendant la prise qui dure 5 a 10 minutes pour un alginate peut être moulé, objets instables souples ou mous (tissus, vide intérieur d'un sac, animaux anesthésiés ou êtres humains) .
L'artiste prend l'empreinte du réel et traduit celui-ci dans un nouveau matériau puis il a le choix entre de multiples transformations du moule, il peut le découper le creuser, combler ou en amputer une partie, lui greffer une autre empreinte . Après tirage du positif il est facile d'intervenir la encore, par ajout ou retrait de matière, par torsion, amputation, découpe, greffes et collages divers. Certaines oeuvres présentent un cas limite puisque le moule lui même devient l'oeuvre originale. Une autre tendance est celle des hyperréalistes tel De Andréa qui utilise les élastomères et résines pour produire des personnages les plus réalistes possibles. Du petit objet au personnage ou groupes de personnages, tous les degrés de ressemblance, de rapport avec le réel sont envisageables, allant d'un rendu hyperréaliste à une composition entièrement imaginaire.
Le moulage dépasse son rôle initial de duplication et grâce aux multiples possibilités de manipulations qu'il offre, il devient un processus créatif à part entière et déterminant dans une démarche personnalisée.

       

Moulage avec les bandes plâtrées par le sculpteur Bernard Ducca


Moulage au plâtre par gérard Bignolais




L'empreinte reconstituée en plâtre avant le coulage .

Moulage au silicone

Démoulage du silicone après fabrication de la chaper en bandes plâtrées
2/ les autres applications
Les autres applications sont innombrables citons pêle-mêle: les éléments de décoration, les reconstitutions historiques et les musées de cire, photo n°11 les effets spéciaux et les maquillages de cinéma ou les empreintes sont indispensables pour réaliser les maquillages de composition , les films et objets publicitaires, citons aussi dans le domaine médical et paramédical les cires anatomiques, les moulages pour réaliser les prothèses orthopédiques et dentaires, les masques ''témoins'' pour la chirurgie esthétique .
Enfin, une activité ''à la mode'' qui tend à se développer consiste à proposer comme souvenir ou expérience vécue enrichissante des moulages de visages, de mains d'adultes ou même de bébés, de bustes et de corps entiers.

Empreinte au rtv silicone

Les aspects psychologiques
Le corps humain est certainement le sujet qui présente le plus de difficultés à mouler. Il bouge, vibre, palpite, s'échauffe et se refroidit, respire, se crispe et se détend, il est couvert de poils et sa surface est extrêmement fragile, ajoutons à cela qu'il peut prendre mille postures et présente des contres dépouilles incontournables.
Tous ceux qui l'ont pratiqué s'accordent pour dire qu'il s'agit d'un moment très particulier et très délicat de leur démarche. Car en face du mouleur, qui doit être d'une totale connivence, c'est un être humain qui doit accepter des contraintes, des manipulations dont il est difficile de prévoir toutes les conséquences. Le modèle doit d'abord être ''préparé'' physiquement et psychologiquement, il doit se sentir bien dans l'atelier et avec toutes les personnes qui s'y trouvent (assistants, photographes) Il devra prendre une pose aussi confortable que possible et pouvoir la tenir jusqu'au bout de l'opération.
Le modèle peut poser habillé mais le plus souvent il pose nu. Un climat particulier basé sur la confiance mutuelle doit s'instaurer.
La prise d'empreinte, toujours exécutée le plus vite possible est un moment intense de rapports humains.
Quelque soit le matériau employé pour le négatif, le mouleur touche le corps du modèle, le produit estampé est humide ou visqueux, plus ou moins chaud, puis enfin il durcit. Le modèle vit ce changement d'état de la coque qui enferme son corps.
Pendant un court instant il ressent le décollement du matériau au niveau de son épiderme ce qui lui procure une sensation intense de la vie, de la réalité de son propre corps, car il s'agit d'une expérience d'enfermement, (surtout laisser au modèle la possibilité de communiquer par la vue par la parole ou encore par l'écrit.

              
Empreinte au plâtre par Jean Pierre Maury

Souvent les sculpteurs moulent de préférence leurs amis , des personnes qu'ils connaissent bien, après avoir expérimenté la situation sur eux-mêmes. Les réactions du modèle sont souvent imprévisibles, il semble que le corps réponde lui-même , à ce qui , peut-être, est ressenti comme une agression par des douleurs locales, une grande fatigue, des modifications de la pose initiale, des vomissements, voir des évanouissements (pour un moulage total du corps). Cette expérience donne accès pour le modèle à une nouvelle connaissance de son corps et sans doute aussi de ses pulsions profondes.
La mise à nu n'est pas seulement physique, elle est aussi celle des mécanismes internes de l'individu.
Dans la tenue de son rôle, le modèle s'abandonne-t-'il pour n'être qu'un objet soumis à la volonté et au savoir-faire d'un autre? Tous les mouleurs remarquent que, même s'ils décident de la pose, il y à toujours une part de la personnalité, des tensions et du climat lors de la prise d'empreinte qui s'inscrit dans l'oeuvre.
On peut se demander quelles sont les revendications du modèle avant et après la réalisation du moulage, comment appréhende-t- il ce double?, l'accepte -t-'il? va - t-'il s'identifier à ce que le mouleur lui fait représenter? Quelles émotions suscitent le fait de pouvoir ''tourner autour de sois'', se voir de dos, ''vraiment'' en trois dimensions? quelles réflexions naissent de cette image, de cette vision de son propre corps? Quelle part de narcissisme, d'exhibitionnisme, l'incite à se faire mouler, ce qui l'expose à être vu, éventuellement nu, quelle angoisse compense t 'il à la vue d'un double solide, dur, peut être immortel!
Par ailleurs se pose le problème de la ressemblance, de la reconnaissance qui en sera faite, les empreintes lorsqu'elles sont partielles permettent t'elles l'identification. Le désir de posséder un moulage de son visage est du même ordre que celui d'avoir son portrait peint ou photographié, tout le monde souhaite que son image se transmette au delà de la mort, que sa jeunesse laisse trace au delà du vieillissement.
La ressemblance d'un moulage à une personne existante reste toujours hypothétique et imaginaire, ce qui en fait est mis en évidence n'est pas la ressemblance à une personne en particulier ou à soi, mais l'écart entre ce que l'on voit et l'image que l'on avait intellectualisée.

Les précautions
Il est important de parler des préliminaires aux empreintes de visages, de têtes ou de corps , les petites empreintes partielles, mains, oreilles etc, ne demandent pratiquement pas de préparation spécifique mais souvenons nous qu'au siècle dernier, il fallait avertir le commissariat de police avant d'entreprendre un moulage sur modèle vivant. Nous n'en sommes plus là, mais il convient néanmoins de prendre quelques précautions à cette occasion.
Elles sont de deux ordres: nous l'avons vu, l'aspect psychologique est déterminant. Il faudra ''préparer'' le modèle mentalement mais aussi physiquement. D'autre part, l'organisation, la préparation du matériel et du lieu ont aussi leur importance. Nous reviendrons largement sur cette mise en condition et ces préparatifs au cours des exercices pratiques mais il est bon d'en établir ici une première approche. S'assurer tout d'abord que le modèle ne souffre pas d'une affection ou contre-indication avec le moulage envisagé. Ne pas intervenir sans assistance médicale sur des sujets claustrophobes, asthmatiques ou cardiaques sur lesquels il est néanmoins possible de prendre quelques empreintes partielles tels que la main ou une partie du dos, mais éviter la tête, le torse. Pour le visage ou la tête, si l'on désire mouler la bouche fermée, s'assurer que le modèle peut respirer uniquement par le nez, sinon ne pas prendre le risque.
Ne pas mouler sur un visage maquillé, éliminer toute trace de maquillage soigneusement, ( il risque de couler dans les yeux lors de l'empreinte). D'une manière générale, ne pas prendre de risque en moulant les yeux ouverts bien que certains mouleurs le fassent , ne pas essayer de mouler quand même avec l'aide de lentilles. Pour les sujets qui en portent, prendre soin de les retirer avant le moulage car elles risquent de tomber lors du démoulage et ceci même si les yeux sont moulés fermés. Retirer l'éventuel appareil auditif.
Dans le cas du moulage de la main, retirer si cela est possible les bagues, bracelets et montre.
Pour le moulage des jambes, s'assurer que le modèle n'est pas sujet à des crampes et ne souffre pas de varices.
Dans tous les cas, il faut bien protéger les systèmes pileux avec de l'huile, (amande douce ou olive) ou de la vaseline.
Ne jamais mouler sur une plaie ouverte. Ne pas oublier de demander au modèle de satisfaire ses besoins naturels, et éventuellement dans le cas d'un grand moulage, lui proposer de prendre une douche avant, et de se détendre par quelques exercices d'élongation.

Avant le moulage
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Bien observer l'état de nervosité du modèle et surtout ne pas commencer un moulage trop rapidement sans qu'un climat de confiance mutuelle ne se soit installé , le moulage commencé, il ne sera plus possible de revenir en arrière.
Tout d'abord, demander au modèle si il à déjà une expérience de moulage ou de pose, si il à l'habitude de se relaxer, si il pratique le yoga. Faire plus ample connaissance et montrer des moulages déjà réalisés, ou des reportages photos.
Citer quelques anecdotes et parler de ce que l'on va faire en indiquant le temps approximatif de la pose et le temps de prise en général très rapide des matériaux. Plus le modèle sait ce qui l'attend, mieux le moulage se déroulera.
Faire un petit test dans le creux de la main par exemple, avec le matériau de moulage retenu.
Insister sur les qualités du produit , pour l'alginate, rappeler au modèle qu'il en a déjà certainement vu puisque c'est de ce matériau dont se servent les dentistes pour prendre les empreintes des dents. Pour l'élastomère de silicone, que par ailleurs je déconseille d'appliquer sur le visage bien que cela soit possible et pratiqué, insister sur le coté très élaboré et ''high tech'' de ce produit.
Pour le plâtre, rappeler au modèle que certains masques utilisés pour les soins esthétiques sont composés de plâtre.

Pendant le moulage
Tout dépend en général de la partie du corps que l'on moule mais chacun à sa méthode et ses habitudes, ainsi certains mouleurs ne cessent pas de parler et de commenter ce qu'ils font, d'autres dont je fais d'ailleurs partie ne disent presque rien (ce n'est plus nécessaire si la préparation à été bien faite) et laissent le modèle vivre son expérience.
Quelquefois il est bon de bien manifester sa présence par le toucher, il m'est même arrivé de bousculer volontairement un modèle durant un moulage du visage simplement pour lui donner un repère concret et détourner son attention. Une bonne méthode consiste aussi à le faire participer en tenant quelque chose , un récipient, une serviette, un outil toujours pour détourner son attention . Dans tout les cas j'ai remarqué qu'il ne sert à rien de demander au modèle si ''ca va'' , il lui est souvent impossible de le dire et peut dans ce cas douter de l'assurance et des compétences du mouleur, de sa capacité à maîtriser la situation.
Un moulage réussi est celui qui combine une expérience enrichissante pour le modèle et le mouleur, à un résultat technique parfait. Quand les éventuelles réticences qui précédaient le moulage ont fait place à une envie de recommencer ''le voyage''.

Préparation du matériel et du lieu
Travailler si possible dans un local clair et aéré bien chauffé avec la possibilité d'augmenter le chauffage facilement.
Le modèle ne doit jamais se refroidir ou manquer d'air, de plus la ''chair de poule'' n'est pas toujours l'effet recherché sur les empreintes.
Préparer suffisamment de récipients et d'eau tiède, avoir à disposition des sacs poubelles, des chiffons pour protéger les vêtements du modèle et s'essuyer facilement les mains. Ne rien laisser qui pourrait encombrer le passage et empêcher le mouleur de tourner autour de son modèle. Débrancher le téléphone pour ne pas être dérangé , la sonnerie peut aussi ajouter un stress inutile.
Dans le cas d'un grand moulage ou d'une pose spécifique, bien répéter et préparer des points d'appuis, l'idéal est que le modèle repose toujours sur trois points pour éviter la fatigue, les garnir éventuellement de mousse, le modèle doit pouvoir se reposer et tout doit être prévu et confortable. Bien préparer à l'avance les outils et matériaux pour perdre un minimum de temps pendant l'empreinte.
Dans le cas de grands moulages, un assistant ou deux sont souvent ''un plus'', mais attention ils ne doivent pas gêner, ils devront d'ailleurs se contenter en général de préparer les produits et de les passer au fur et à mesure du travail du mouleur pour éviter les temps morts. Ils ne devront faire aucun commentaire à haute voix ni s'adresser au modèle , et cela est valable pour toutes les personnes présentes .

Texte de Nicole CRESTOU et Pascal ROSIER

 


Pour aller plus loin les ebbok de
Pascal Rosier sur la sculture et le moulage



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