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Qui
d'entre nous ne s'est pas retourné sur ses empreintes laissées dans
le sable, la terre ou la neige.
Comment ne pas imaginer que si les égyptiens recouvraient leurs morts
avec du plâtre, les sculpteurs antiques ne se soient pas largement servis
du moulage sur modèle vivant comme l'ont fait les sculpteurs du 19 ème
et jusqu'à notre époque.
Le mythe du double, la cybernétique, l'éternel conflit entre les partisans
du moulage sur nature et ses détracteurs , les uns y voyant un moyen
d'expression, les empreintes étant chargées d'un capital émotionnel
et symbolique, les autres n'y voyant qu'un procédé mécanique et facile
sans vie ni contenu artistique , sont autant de raisons qui ont permis
au moulage sur nature d'être médiatisé et pratiqué largement par de
nombreux professionnels et d'amateurs mais sans être reconnu comme discipline.
D'autre part, la relative vulgarisation des techniques générales de
moulage due à l'apparition des nouveaux matériaux de synthèse pourrait
laisser penser que le moulage sur modèle vivant est une chose facile,
il n'en est rien et beaucoup ont essayé en faisant courir de grands
risques à leurs modèles tout en produisant un travail de mauvaise qualité.
Que cela soit dans un but artistique, pour concevoir une sculpture figurative
ou hyperréaliste, ou une composition à l'aide de fragments, que cela
soit dans le but de garder un souvenir de son visage, de sa main, de
celle du bébé, ou du buste de la maman, que cela soit dans le cadre
d'un enseignement ou d'une animation, de récréations ou d'exercices,
dans le domaine médical ou esthétique, le moulage sur modèle vivant
est une opération délicate et non dénuée de risques.
C'est dans tous les cas une expérience enrichissante pour le modèle
et le mouleur. Le moulage sur modèle vivant constitue un véritable moyen
d'expression et il n'est pas faux de dire qu'il est à la sculpture ce
que la photographie est à la peinture.
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LES
MOTIVATIONS
Il serait vain d'essayer de dresser une liste exhaustive de toutes
les applications du moulage du corps, laissons de coté volontairement
tout ce qui touche au moulages sur des cadavres , (masques mortuaires)
et à toutes les représentations du corps morcelé , objets usuels et
décoratifs, ex voto etc.
Retenons simplement les applications qui ont recours au moulage sur
modèle vivant dans les domaines suivants: |
3
Jean pierre Maury |
Bernard Ducca dans son atelier |
1/
Le domaine artistique
Dans les ateliers de dessin et de sculpture et dans un objectif purement
pratique afin de se passer de modèle en se constituant un fond d'atelier
composé de bras, de jambes , de pieds et de mains, de torses et de
buste. Le moulage est alors considéré comme outil de travail dont
on s'inspire pour l'exercice ou l'enseignement mais qui n'entre pas
directement dans la composition de l'oeuvre. Pour l'élaboration de
sculptures proprement dites, le moulage sur le vif sera très utilisé
au 19 ème siècle et beaucoup critiqué, ainsi, le sculpteur italien
Véla , selon David d'Angers ''moule énormément". Il mélangeait avec
ses sculptures, des mains, des jambes , dos, etc, leur donnant un
caractère qualifié de ''vériste'' en Italie. Le moulage, permet aux
sculpteurs de se constituer des réserves et de les exploiter sous
de multiples combinaisons : assembler moulages sur nature et moulages
d'antiques avec des oeuvres modelées, réunir des morceaux de sculptures
différentes pour en faire une nouvelle et ainsi réutiliser indéfiniment
une même partie de sculpture. Rodin sera le premier à exploiter ce
processus de façon systématique. Il fut d'ailleurs accusé lors de
la présentation de ''l'âge d'airain'' en 1877 d'avoir eu recours au
moulage.
Après ce scandale ou le moulage du modèle fut finalement exécuté pour
prouver sa non utilisation, on lui reprochait une trop grande exactitude
des formes, Rodin fit savoir en maintes occasions qu'il condamnait
cette pratique.
Il ajoutait: : ''un moulage sur nature est la copie la plus exacte
que l'on puisse obtenir, mais sans vie , cela n'a ni mouvement ni
éloquence, ce qu'il faut c'est exagérer!'' A notre époque, surtout
grâce à l'utilisation des matériaux plastiques modernes, les empreintes
sont rapides et fidèles, tout ce qui ne bouge pas pendant la prise
qui dure 5 a 10 minutes pour un alginate peut être moulé, objets instables
souples ou mous (tissus, vide intérieur d'un sac, animaux anesthésiés
ou êtres humains) .
L'artiste prend l'empreinte du réel et traduit celui-ci dans un nouveau
matériau puis il a le choix entre de multiples transformations du
moule, il peut le découper le creuser, combler ou en amputer une partie,
lui greffer une autre empreinte . Après tirage du positif il est facile
d'intervenir la encore, par ajout ou retrait de matière, par torsion,
amputation, découpe, greffes et collages divers. Certaines oeuvres
présentent un cas limite puisque le moule lui même devient l'oeuvre
originale. Une autre tendance est celle des hyperréalistes tel De
Andréa qui utilise les élastomères et résines pour produire des personnages
les plus réalistes possibles. Du petit objet au personnage ou groupes
de personnages, tous les degrés de ressemblance, de rapport avec le
réel sont envisageables, allant d'un rendu hyperréaliste à une composition
entièrement imaginaire.
Le moulage dépasse son rôle initial de duplication et grâce aux multiples
possibilités de manipulations qu'il offre, il devient un processus
créatif à part entière et déterminant dans une démarche personnalisée.
Moulage avec les bandes plâtrées par le sculpteur Bernard
Ducca
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Moulage
au plâtre par gérard Bignolais
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L'empreinte reconstituée en plâtre avant le coulage .
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Moulage au silicone |
Démoulage du silicone après fabrication de la chaper
en bandes plâtrées |
2/
les autres applications
Les autres applications sont innombrables citons pêle-mêle: les éléments
de décoration, les reconstitutions historiques et les musées de cire,
photo n°11 les effets spéciaux et les maquillages de cinéma ou les
empreintes sont indispensables pour réaliser les maquillages de composition
, les films et objets publicitaires, citons aussi dans le domaine
médical et paramédical les cires anatomiques, les moulages pour réaliser
les prothèses orthopédiques et dentaires, les masques ''témoins''
pour la chirurgie esthétique .
Enfin, une activité ''à la mode'' qui tend à se développer consiste
à proposer comme souvenir ou expérience vécue enrichissante des moulages
de visages, de mains d'adultes ou même de bébés, de bustes et de corps
entiers.
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Empreinte au rtv silicone
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Les aspects
psychologiques
Le corps humain est certainement le sujet qui présente le plus de
difficultés à mouler. Il bouge, vibre, palpite, s'échauffe et se
refroidit, respire, se crispe et se détend, il est couvert de poils
et sa surface est extrêmement fragile, ajoutons à cela qu'il peut
prendre mille postures et présente des contres dépouilles incontournables.
Tous ceux qui l'ont pratiqué s'accordent pour dire qu'il s'agit
d'un moment très particulier et très délicat de leur démarche. Car
en face du mouleur, qui doit être d'une totale connivence, c'est
un être humain qui doit accepter des contraintes, des manipulations
dont il est difficile de prévoir toutes les conséquences. Le modèle
doit d'abord être ''préparé'' physiquement et psychologiquement,
il doit se sentir bien dans l'atelier et avec toutes les personnes
qui s'y trouvent (assistants, photographes) Il devra prendre une
pose aussi confortable que possible et pouvoir la tenir jusqu'au
bout de l'opération.
Le modèle peut poser habillé mais le plus souvent il pose nu. Un
climat particulier basé sur la confiance mutuelle doit s'instaurer.
La prise d'empreinte, toujours exécutée le plus vite possible est
un moment intense de rapports humains.
Quelque soit le matériau employé pour le négatif, le mouleur touche
le corps du modèle, le produit estampé est humide ou visqueux, plus
ou moins chaud, puis enfin il durcit. Le modèle vit ce changement
d'état de la coque qui enferme son corps.
Pendant un court instant il ressent le décollement du matériau au
niveau de son épiderme ce qui lui procure une sensation intense
de la vie, de la réalité de son propre corps, car il s'agit d'une
expérience d'enfermement, (surtout laisser au modèle la possibilité
de communiquer par la vue par la parole ou encore par l'écrit.
Empreinte au plâtre par Jean Pierre Maury
Souvent les
sculpteurs moulent de préférence leurs amis , des personnes qu'ils
connaissent bien, après avoir expérimenté la situation sur eux-mêmes.
Les réactions du modèle sont souvent imprévisibles, il semble que
le corps réponde lui-même , à ce qui , peut-être, est ressenti comme
une agression par des douleurs locales, une grande fatigue, des
modifications de la pose initiale, des vomissements, voir des évanouissements
(pour un moulage total du corps). Cette expérience donne accès pour
le modèle à une nouvelle connaissance de son corps et sans doute
aussi de ses pulsions profondes.
La mise à nu n'est pas seulement physique, elle est aussi celle
des mécanismes internes de l'individu.
Dans la tenue de son rôle, le modèle s'abandonne-t-'il pour n'être
qu'un objet soumis à la volonté et au savoir-faire d'un autre? Tous
les mouleurs remarquent que, même s'ils décident de la pose, il
y à toujours une part de la personnalité, des tensions et du climat
lors de la prise d'empreinte qui s'inscrit dans l'oeuvre.
On peut se demander quelles sont les revendications du modèle avant
et après la réalisation du moulage, comment appréhende-t- il ce
double?, l'accepte -t-'il? va - t-'il s'identifier à ce que le mouleur
lui fait représenter? Quelles émotions suscitent le fait de pouvoir
''tourner autour de sois'', se voir de dos, ''vraiment'' en trois
dimensions? quelles réflexions naissent de cette image, de cette
vision de son propre corps? Quelle part de narcissisme, d'exhibitionnisme,
l'incite à se faire mouler, ce qui l'expose à être vu, éventuellement
nu, quelle angoisse compense t 'il à la vue d'un double solide,
dur, peut être immortel!
Par ailleurs se pose le problème de la ressemblance, de la reconnaissance
qui en sera faite, les empreintes lorsqu'elles sont partielles permettent
t'elles l'identification. Le désir de posséder un moulage de son
visage est du même ordre que celui d'avoir son portrait peint ou
photographié, tout le monde souhaite que son image se transmette
au delà de la mort, que sa jeunesse laisse trace au delà du vieillissement.
La ressemblance d'un moulage à une personne existante reste toujours
hypothétique et imaginaire, ce qui en fait est mis en évidence n'est
pas la ressemblance à une personne en particulier ou à soi, mais
l'écart entre ce que l'on voit et l'image que l'on avait intellectualisée.
Les précautions
Il est important de parler des préliminaires aux empreintes de visages,
de têtes ou de corps , les petites empreintes partielles, mains,
oreilles etc, ne demandent pratiquement pas de préparation spécifique
mais souvenons nous qu'au siècle dernier, il fallait avertir le
commissariat de police avant d'entreprendre un moulage sur modèle
vivant. Nous n'en sommes plus là, mais il convient néanmoins de
prendre quelques précautions à cette occasion.
Elles sont de deux ordres: nous l'avons vu, l'aspect psychologique
est déterminant. Il faudra ''préparer'' le modèle mentalement mais
aussi physiquement. D'autre part, l'organisation, la préparation
du matériel et du lieu ont aussi leur importance. Nous reviendrons
largement sur cette mise en condition et ces préparatifs au cours
des exercices pratiques mais il est bon d'en établir ici une première
approche. S'assurer tout d'abord que le modèle ne souffre pas d'une
affection ou contre-indication avec le moulage envisagé. Ne pas
intervenir sans assistance médicale sur des sujets claustrophobes,
asthmatiques ou cardiaques sur lesquels il est néanmoins possible
de prendre quelques empreintes partielles tels que la main ou une
partie du dos, mais éviter la tête, le torse. Pour le visage ou
la tête, si l'on désire mouler la bouche fermée, s'assurer que le
modèle peut respirer uniquement par le nez, sinon ne pas prendre
le risque.
Ne pas mouler sur un visage maquillé, éliminer toute trace de maquillage
soigneusement, ( il risque de couler dans les yeux lors de l'empreinte).
D'une manière générale, ne pas prendre de risque en moulant les
yeux ouverts bien que certains mouleurs le fassent , ne pas essayer
de mouler quand même avec l'aide de lentilles. Pour les sujets qui
en portent, prendre soin de les retirer avant le moulage car elles
risquent de tomber lors du démoulage et ceci même si les yeux sont
moulés fermés. Retirer l'éventuel appareil auditif.
Dans le cas du moulage de la main, retirer si cela est possible
les bagues, bracelets et montre.
Pour le moulage des jambes, s'assurer que le modèle n'est pas sujet
à des crampes et ne souffre pas de varices.
Dans tous les cas, il faut bien protéger les systèmes pileux avec
de l'huile, (amande douce ou olive) ou de la vaseline.
Ne jamais mouler sur une plaie ouverte. Ne pas oublier de demander
au modèle de satisfaire ses besoins naturels, et éventuellement
dans le cas d'un grand moulage, lui proposer de prendre une douche
avant, et de se détendre par quelques exercices d'élongation.
Avant le moulage:
Bien observer l'état de nervosité du modèle et surtout ne pas commencer
un moulage trop rapidement sans qu'un climat de confiance mutuelle
ne se soit installé , le moulage commencé, il ne sera plus possible
de revenir en arrière.
Tout d'abord, demander au modèle si il à déjà une expérience de
moulage ou de pose, si il à l'habitude de se relaxer, si il pratique
le yoga. Faire plus ample connaissance et montrer des moulages déjà
réalisés, ou des reportages photos.
Citer quelques anecdotes et parler de ce que l'on va faire en indiquant
le temps approximatif de la pose et le temps de prise en général
très rapide des matériaux. Plus le modèle sait ce qui l'attend,
mieux le moulage se déroulera.
Faire un petit test dans le creux de la main par exemple, avec le
matériau de moulage retenu.
Insister sur les qualités du produit , pour l'alginate, rappeler
au modèle qu'il en a déjà certainement vu puisque c'est de ce matériau
dont se servent les dentistes pour prendre les empreintes des dents.
Pour l'élastomère de silicone, que par ailleurs je déconseille d'appliquer
sur le visage bien que cela soit possible et pratiqué, insister
sur le coté très élaboré et ''high tech'' de ce produit.
Pour le plâtre, rappeler au modèle que certains masques utilisés
pour les soins esthétiques sont composés de plâtre.
Pendant le moulage
Tout dépend en général de la partie du corps que l'on moule mais
chacun à sa méthode et ses habitudes, ainsi certains mouleurs ne
cessent pas de parler et de commenter ce qu'ils font, d'autres dont
je fais d'ailleurs partie ne disent presque rien (ce n'est plus
nécessaire si la préparation à été bien faite) et laissent le modèle
vivre son expérience.
Quelquefois il est bon de bien manifester sa présence par le toucher,
il m'est même arrivé de bousculer volontairement un modèle durant
un moulage du visage simplement pour lui donner un repère concret
et détourner son attention. Une bonne méthode consiste aussi à le
faire participer en tenant quelque chose , un récipient, une serviette,
un outil toujours pour détourner son attention . Dans tout les cas
j'ai remarqué qu'il ne sert à rien de demander au modèle si ''ca
va'' , il lui est souvent impossible de le dire et peut dans ce
cas douter de l'assurance et des compétences du mouleur, de sa capacité
à maîtriser la situation.
Un moulage réussi est celui qui combine une expérience enrichissante
pour le modèle et le mouleur, à un résultat technique parfait. Quand
les éventuelles réticences qui précédaient le moulage ont fait place
à une envie de recommencer ''le voyage''.
Préparation du matériel et du lieu
Travailler si possible dans un local clair et aéré bien chauffé
avec la possibilité d'augmenter le chauffage facilement.
Le modèle ne doit jamais se refroidir ou manquer d'air, de plus
la ''chair de poule'' n'est pas toujours l'effet recherché sur les
empreintes.
Préparer suffisamment de récipients et d'eau tiède, avoir à disposition
des sacs poubelles, des chiffons pour protéger les vêtements du
modèle et s'essuyer facilement les mains. Ne rien laisser qui pourrait
encombrer le passage et empêcher le mouleur de tourner autour de
son modèle. Débrancher le téléphone pour ne pas être dérangé , la
sonnerie peut aussi ajouter un stress inutile.
Dans le cas d'un grand moulage ou d'une pose spécifique, bien répéter
et préparer des points d'appuis, l'idéal est que le modèle repose
toujours sur trois points pour éviter la fatigue, les garnir éventuellement
de mousse, le modèle doit pouvoir se reposer et tout doit être prévu
et confortable. Bien préparer à l'avance les outils et matériaux
pour perdre un minimum de temps pendant l'empreinte.
Dans le cas de grands moulages, un assistant ou deux sont souvent
''un plus'', mais attention ils ne doivent pas gêner, ils devront
d'ailleurs se contenter en général de préparer les produits et de
les passer au fur et à mesure du travail du mouleur pour éviter
les temps morts. Ils ne devront faire aucun commentaire à haute
voix ni s'adresser au modèle , et cela est valable pour toutes les
personnes présentes .
Texte de Nicole
CRESTOU et Pascal ROSIER
Pour aller plus loin les
ebbok de
Pascal Rosier sur la sculture et le moulage
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